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Post-club: Pourquoi les DJs abandonnent le dancefloor

De plus en plus d’artistes électroniques délaissent les clubs

  • Adélaide de Cerjat | Illustration: Dadara
  • 28 February 2020

En 2016, la productrice franco-canadienne Marie Davidson composait ‘Adieux Au Dancefloor’. Ses paroles en Français y dévoilent sans équivoque ses sentiments face à la scène club; elle y parle de se perdre dans la vie nocturne, évoque la solitude et l’anxiété dont elle souffre, et fait même référence à « l’Enfer ». Trois ans plus tard, en août 2019, elle annonçait sa volonté de quitter la scène.

Elle n’est pas la première artiste à connaître un désamour de la scène club, et ne sera certainement pas la dernière. Post-Avicii, et avec le nouveau climat de transparence qui entoure la santé mentale des artistes et les problèmes d’addiction, beaucoup sont parfaitement conscient·e·s des risques physiques et psychologiques du mode de vie typique du DJ. Dans un récent blog du Mixmag anglais où les artistes ont confié leurs conseils pour rester sobre, Giles de secretsundaze propose d’éviter de passer trop de temps en club (« si tu dois sortir pour re-rentrer ensuite, ne te sens pas coupable, ton bien-être est ta priorité ») tout comme Kai, organisateur des soirées Abode : « Évite d’arriver en club 3-4 heures avant ton set, traite ça comme un job. »

Mais les raisons évoquées pour tourner le dos au dancefloor sont tout aussi souvent artistiques, en particulier pour celles et ceux qui ont plusieurs décennies d’expérience dans le métier. Jeff Mills a souvent exprimé sa frustration face à la configuration standard du nightclub. Que ce soit avec son quartet d’impro jazz Spiral Deluxe ou ses différents projets orchestraux, il s’est fait le pionnier d’un mélange entre la tradition classique et le caractère éphémère (apparent) de la musique électronique, qui a aidé à exposer la profondeur et la qualité artistique de son travail et de la techno en général à des gens qui n’auraient jamais mis les pieds en club.

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Et Jeff n’est pas le seul pionnier de Detroit à pénétrer l’univers de l’orchestre. Quand Derrick May a lancé son propre projet orchestral l’an passé, il n’a pas juste dit s’être senti à l’étroit dans l’environnement du club, mais a évoqué sa découverte d’un médium pour une musique qui avait toujours eu pour lui une portée cinématique : « Tout ce que je fais, chaque chanson que je crée, pour moi c’est comme s’il s’y trouvait un orchestre. Je fais ce que j’aime appeler de la ‘musique scénographique’. C’est de la musique scénographique avec une touche d’ambition triomphale. » Avec le projet Versus, son prédécesseur Carl Craig est un autre pionnier qui a embrassé tout le potentiel de l’orchestration.

Pendant ce temps, pour de nombreux·ses artistes multidisciplinaires, l’espace du club s’avère un terrain de jeu trop limité pour faire passer toutes leurs idées. Jessica Khazrik a toutes les cartes en main pour s'imposer dans les clubs internationaux, mais produit aussi des travaux comme ‘Mount Mound Refuse’, une performance audio-poétique qui trouve davantage sa place dans les galeries d’art.

Derrick May pense que la démocratisation des domaines anciennement connus pour leur élitisme a permis aux artistes électroniques d’accéder à ce nouveau moyen d’expression. « [Le public classique] a toujours été une clientèle prétentieuse… Une communauté avec ses codes qui ne s’intéressait qu’à l’appréciation de créations du passé, immuables, ils le savaient et se sont intégrés à ce groupe pour cette raison. Aujourd’hui, beaucoup ont 70, 80 ans, et ne sortent plus. Ils ne sont plus là pour soutenir les orchestres… Une autre raison pour laquelle les orchestres se sont tournés vers les musicien·ne·s de la scène électronique. »

En même temps, une bonne partie de la scène club a changé, et dans une bonne partie des cas, ces derniers sont devenus davantage un lieu de consommation que d’expression : un circuit pour les DJs et les artistes, où l’emphase portée sur des spectacles et des productions toujours plus grandioses peuvent aliéner non seulement le public, mais aussi les DJs de la musique, grignotant toujours plus le concept du club comme lieu de contreculture et de résistance.

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Si la notion de club a changé, il en va de même pour notre compréhension de la musique électronique, avec l’émergence de genres qui requièrent une approche plus intellectuelle. La dernière contribution de Simon Reynolds au vocabulaire de la musique électronique, ‘Conceptronica’, par exemple, décrit « une musique à contempler avec les oreilles, à méditer et à penser avec ». Cette audience attentive est difficile à rassembler dans l’euphorie confuse d’un club. C’est pourquoi on voit des artistes comme Actress, SOPHIE, ou même DJ Koze qui préfèrent exposer leurs travaux dans des salles de concert, et l’émergence des bars audiophiles. Peut-être en réaction à tout cela, s'est diffusée ce qu’on nomme la ‘club music’, un genre qui puise ses racines dans les scènes locales de Baltimore et de Jersey, dans une forme brute intrinsèquement liée à l’expérience dancefloor.

De nombreux festivals et institutions ont tenté de trouver un juste milieu entre l’immédiateté et la corporalité de la culture club et la facette plus intellectuelle de la scène, avec en tête de file Sónar et Unsound, ou même Dekmantel qui déploie ses ailes avec des concerts en dehors de son circuit habituel, où on peut entendre les sons expérimentaux d’artistes comme Sarah Davachi ou Deena Abdelwahed.

Le risque, bien sûr, est qu’en s’éloignant de l’espace des clubs et en perpétuant l’idée que les institutions élitistes comme les salles de concert et les galeries d’art légitimisent la musique électronique, notre culture va se détacher de ses racines. La culture club devrait chercher à faire évoluer ces institutions, plutôt que de s’adapter à elles. Nous ne leur devons rien.

Mais tant que suffisamment de clubs restent authentiques, des bastions de créativité, de fierté, d’amour et de plaisir, tout ira bien. Et pour Marie Davidson ? Eh bien, peut-être qu’elle ne se produit plus sur scène en personne, mais sa musique – comme le remix cinétique et minimaliste de son ‘Work It’ par Soulwax, élu track de l’année 2019 par Mixmag – lui permet de continuer à animer les dancefloors, du moins en pensée.


Adélaïde de Cerjat est journaliste freelance et rédactrice de contenus culturels basée à Paris.

Initialement paru sur mixmag.net. Traduit de l'Anglais par @MarieDapoigny


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