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J’ai passé tout un weekend à faire la teuf en ligne

En dépit du contexte, sauter de live-stream en live-stream a été plutôt divertissant

  • Patrick Hinton
  • 15 April 2020

Dans la série Numb, un Simon Amstell toujours bien inspiré explique que la clef, pour éviter le désespoir quand on vit seul·e, c’est d’avoir un planning. Si vous n’organisez rien, « vous vous réveillez, et tout s’assombrit ». Ah, la comédie; “it’s funny cos it’s true !”, disait Homer Simpson. C’est en tout cas ce que je pensais, jusqu’à ce que la dure réalité me frappe. Je ne vis pas tout seul, mais alors que le lockdown a mis fin à toute perspective d’activité en dehors de mon appartement, la contemplation d’un ciel bleu qui s’assombrit lentement mais sûrement était bien la morne pensée qui m’habitait au réveil, ce samedi matin.

Si le monde extérieur ne s’était pas recroquevillé sur lui-même, mon programme pour la soirée aurait été d’aller me déhancher à la soirée d’un poto à Londres, Adventures In Paradise. En lieu et place se profilait plutôt une soirée type “Ennui In Pandemic”. Mais au milieu du marasme subsistait une lueur d’espoir : la fête virtuelle.

Des milliers de fans reclu·e·s cherchent une bande-son à leur confinement forcé, et les DJs ont les doigts qui démangent à l’idée de retrouver le booth; beaucoup installent des caméras dans leur chambre (désolé les haters, DJ Paris Hilton était en avance sur son époque). Dès le premier weekend du confinement, il y avait déjà énormément d’options disponibles pour ceux qui voulaient s’ambiancer tout en surfant sur Internet. En 2016, un edito Mixmag bien bravache avait exprimé ses doutes sur l’intérêt des raves virtuelles. Mais alors, quand on pensait encore avec naiveté que 2016 était décidément la pire année qu’on ait jamais connue, on n’avait pas vraiment prévu que bientôt, elles deviendraient la seule et unique option. Ce weekend passé à teuffer en ligne était plus que le bienvenu, c’était un programme solide. Donc j’ai enfilé mes chaussons de danse, et je me suis lancé.

La soirée a commencé avec le Club Quarantäne de Resident Advisor et YouTube. C’est beaucoup plus sophistiqué que votre stream habituel, avec un intérieur virtuel à explorer, une queue comme au Berghain et un vrai quizz à l’entrée. Un ami a déjà été admis, donc je lui envoie un message pour lui demander des conseils pour passer le physio tout en bravant la file de 30 secondes devant moi. « Le mec à l’entrée est cool, il veut juste savoir si tu sais qui joue - et te demandes tes cookies au passage, lol », il me dit. Malheureusement, je n’ai pas envie de lui donner mes précieuses données, et rejette sa demande au cours de mon entretien d’entrée. La riposte ne se fait pas attendre : je me fais tej' direct. Les connards. Heureusement, je suis assis dans une chambre bien confortable et je n’ai pas souffert dans une file d’un kilomètre dans un Berlin glacial. En moins d’une minute, me revoilà en selle. Les avantages de la teuf virtuelle commencent à se faire sentir.

Il est environ 17h quand j’arrive devant un set de Ryan Elliott, un glorieux mélange de piano house avec ‘Oops’ de Omar S. Quelques potes de tout le pays rejoignent l’aventure et on s’envoie des ‘woohoo’ pendant le closing triomphal du set. « Trop cool, en plus tu peux te bourrer la gueule pas cher » commente un ami du Somerset, ce qui lui vaut des réactions hilares venues de Bristol, St Albans et Tottenham. Je ne suis pas sur un dancefloor, je ne peux voir ni mes potes ni le DJ, mais la camaraderie est bien au rendez-vous.

Alors que Shanti Celeste prend les rênes du DJ booth, je vais me promener un peu dans le Club Quarantäne. Le “vestiaire” vous emmène sur un site de merch d’Everpress, le “bar” vous invite à faire un don à une sélection d’œuvres caritatives, et les toilettes est une chat room divisée en différentes cabines. En y entrant, le son devient légèrement étouffé – une touche sympa de réalisme. À l’intérieur, la conversation est largement dominée par les Italiens. On se sent comme à la maison. J’essaie de me faire des ami·e·s comme au coin fumeur en lançant une blague vaseuse sur un hypothétique projet de b2b du headliner avec Dan Snaith, ‘Daphni & Celeste’. « Il me faut de la K », lance la Cabine 3 en guise de réponse, alors que le Cubicle 8 nous offre un tonitruant « italiaaaa ne usciremo prima di tuttiiiii ».


Shanti Celeste est bien lancée, droppe des wobbles en veux-tu en voilà entre deux bangers UK garage. Je peux Shazamer pépouze sans me faire emmerder par la police du fun qui me dit que mon téléphone ruine la vibe sur le dancefloor. Le remix garage de Cathy Denis - 'Touch Me' par Dee Jay Lloyde et Sticky - 'Triplet' cartonnent, et j’en viens à me demander si Shanti se fait ensevelir sous une vague de poings emojis en Insta DMs, comme lorsque les emmerdeurs du DJ booth ressentent le besoin de balancer leurs mains devant la tête du DJ quand un morceau part en vrille. Elle balance T2 - 'Heartbroken' et le chat explose. Oh putain, c’est vraiment démentiel. Je suis en transe et je n’ai plus honte d’être tout seul dans ma chambre. Je pars en exploration pour chercher de la tise, et je finis une moitié de verre de vin abandonné en cours de route la nuit dernière. Partir à la chasse au verre sans craindre de se faire droguer, le pied !

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Changement radical d’ambiance à portée de clic : je me téléporte dans le New Hampshire où Eris Drew et Octo Octa font un live stream en b2b au milieu d’une clairière. Il y a un champignon en peluche devant une des platines et elles boivent ce qui s’apparenterait à une infusion aux psychédéliques, tout en passant leurs disques et en se faisant des câlins. Pendant ce temps à Londres, DJ EZ commence son set de 24h sur Boiler Room. Les DJs de UK garage ne sont généralement pas de grands marathoniens, mais en même temps, ça devrait être interdit de faire chier les dancefloors avec de la minimal tech ampoulée pendant aussi longtemps. À vrai dire à titre d'exemple, le festival Sunwaves pourrait vraiment bénéficier d’une scène avec EZ en curateur. Celles et ceux qui pensait qu’EZ allait y aller mollo pour tenir la distance en ont eu pour leur grade : le voilà déjà qui balance un gros remix de ‘Bring Me Down’ de Stanton Warriors dès la première demi-heure. « Comme vous le savez, la gentillesse fait toute la différence, c’est le thème de ce set », il annonce, encourageant les spectateurs à contribuer à la levée de fond My Kind Deed. Continue, et prends mon argent mon idole, je t’aime.

Pour me préparer comme il se doit au reste de la soirée, je fais bon usage de ma promenade autorisée du jour pour aller chez l'épicier du coin, quand tout à coup je reçois un message d’un ami : Don Williams est en train de faire passer ‘Strings Of Life’ au Club Quarantäne. Naaaaan! C’est comme quand tu te retrouve coincé·e dans les chiottes du club alors qu’on passe un gros classique, sauf que je suis à 10 minutes de chez moi et pas à 10 mètres du dancefloor. C’est arrivé: j’ai la FOMO de mon écran ordi.

De retour dans ma chambre, le seul remède possible apparaît comme une évidence : il faut me brancher Internet en intraveineuse et me distiller chaque goutte de toutes les raves virtuelles. D’abord, une plongée dans la session 24h d’Isolation Station, où je découvre une rave jungle à thème : Goji passe des grosses bombes breakées devant un dancefloor de cartoons et d’animaux en peluches. C’est bien de voir que les personnages extravagants du club ont retrouvé leur place dans la fête virtuelle. Dans une atmosphère techno beaucoup plus sévère et utilitariste, je retrouve l’expérience milanaise de The Temple of Lost Future, qui tente de dépasser le record mondial de 14 jours de stream non stop. 9 personnes sont réunies devant un mix de kicks et de hi-hats vaseux. Ce qui me rappelle un peu ces moments amers à la fin de la rave, alors que les derniers danseurs absorbent les secondes finales du closing. « Tout le monde s’amuse bien ? », je lance dans la chat room. Personne ne répond. Le nombre de spectateurs descend à 6.

EZ, bien entendu, est toujours au meilleur de sa forme. En me reconnectant à son set, je me fais accueillir par une salve de Zinc - ‘Blunt Edge’, Heartless Crew - ‘Heartless Theme’ et M-Dubs - ‘Bump ’N’ Grind’. « j’étais censé rester chill mais avec vos demandes de tracks old-school, je suis lancé ! », lance EZ au micro. Il croit se foutre de la gueule de qui ? Il va jouer 24 heures de bangers et ça va être génial. S Ruston tient la cadence au Club Quarantane. Elle balance une vibe digne du Berghain avec un hit techno, doublé d’un approprié leitmotiv “Come with me to the dark room”, avant de passer aux choses sérieuses avec le rap puissant de Princess Nokia sur ‘Brujas’, et de faire remonter la sauce avec la bombe trance des 90’s, ‘Scorpia’ de Marco Bailey, pour finir avec l’énorme remix de La Roux ‘In For The Kill’ de Stream. C’est un closer inattendu chargé en DNT, et alors que le group chat explose une nouvelle fois, on se croirait presque dans un de ces moments de fête spéciaux dont on chérira le souvenir pour toujours, malgré le confinement. Jusqu’à ce qu’un message pourfende mon écran « Je peux même pas te dire à quel point j’ai envie de me retrouver en teuf là tout de suite ». Tagueuletagueuletagueule. La pensée d’une rave IRL et de la distance qui nous sépare encore d’un vrai dancefloor est déchirante. Je reprends chopper une dose de EZ avec Rhythm & Gash’, ‘Pow!’, ‘Get Get Down’ et Hackney Parrot alors qu’il fait un coucou au micro à « Brenda la raveuse garage old-school d’Ipswich », et me voilà à nouveau porté par le réconfort de la rave virtuelle.

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Le reste de la soirée, le temps passe en un clin d’œil, avec plein de grands moments. Le stream Twitch de Leaving Records a livré des trésors ambient apaisants sur un fond bucolique. House Of Yes nous a remonté le moral avec des routines de danse complètement barrées. Club Quarantäne a encore tout défoncé avec la house groovy de Cope, des bijoux old scoop de Elissa Suckdog et les sélections bass, breaks et grime de Skee Mask. Tout ça avec des hangouts Zoom et des videos Houseparty en veux-tu en voilà. Je crois que j’ai fini par voir plus d’amis en ligne que j’ai jamais pu en voir réunis sur un même dancefloor. Je me suis assez éclaté pour qu’il soit déjà plus de 5 heures du matin quand je réalise que ça fait bientôt 12 heures que je suis devant mon ordi, et je décide de raccrocher. Pas de Uber à x2.2 le prix de la course, et au lit en quelques secondes, la tête pleine de rêves d’after virtuel avec les gros bangers qu’EZ nous réserve pour demain.

Patrick Hinton est Digital Features Editor chez Mixmag, suivez-le sur Twitter

Initialement paru sur Mixmag.net. Adapté de l’Anglais par @MarieDapoigny

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